Jean-Christophe Nourisson

   

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Textes

2001 Les abstractions architecturales de JC Nourisson. Texte Sylvie Coëllier. (Translate)

2001 Correspondances. Texte de Christophe le Gac. (Translate)

2004 L'événement et la pensée. Texte de Christophe Kihm.

2010 Perception et corps en mouvement. Texte de Catherine Grout.

2010 Des signes urbains non autoritaires. Texte de Christian Ruby.

2010 Hors Champ. Texte de Cécile Meinardi.


2017 Nomologie. Propos sur les dispositifs urbains de JC Nourisson. Texte de Christian Leclerc.

2021 L'incomplétude des choses. Texte de Jean Louis Poitevin.


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Nomologie

Propos sur les dispositifs urbains de J.C. Nourisson

Dans la philosophie deleuzienne, la notion de nomos est interrogée pour qualifier l'espace lisse de la déterritorialisation. Si le topos est l'espace strié, territorialisé, localisé et sédentaire, le milieu lisse du nomos1 – technologique, géographique, mathématique ou noologique – est celui des distributions nomades du générique. La condition métropolitaine transforme la dimension politique de la ville ou de la cité, d'un topos, en celui, cosmopolitique, d'un nomos. Si la ville s'ancre en territoires, en habitats et en propriétés, la mégapole s'effectue comme espace mobile, circuits et habitacles, et l'homme n'y est plus que locataire, navigateur, passager en transit. Cette condition précaire est celle que préfigure Walter Benjamin, là où les corps s'abandonnent à la flânerie feutrée des passages parisiens. C'est aussi celle, plus hâtive et hasardeuse de la dérive situationniste. Le lien entre art, architecture et urbain est un plan d'infini, le plan d'immanence deleuzien, le nomos, plan de glissement insensé et impersonnel, plan de transit faisant du monde un devenir perpétuel. Pur évènement imperceptible où se dissout toute subjectivité, qui est l'heccéité même, essence d'une singularité apersonnelle. "C’est en ce sens que devenir tout le monde, faire du monde un devenir, c’est faire monde, c’est faire un monde, des mondes, c’est-à-dire trouver ses voisinages et ses zones d’indiscernabilité […] Se réduire à une ou plusieurs lignes abstraites qui vont se continuer et se conjuguer avec d'autres, pour produire immédiatement, directement, un monde, dans lequel c'est le monde qui devient, on devient tout le monde." 2

Le travail de Jean Christophe Nourisson s'élabore en regard de notre condition urbaine et plus largement encore dans notre condition d'être. Cette condition est sous-tendue par un paradoxe qui hante notre société jusqu'à l'aberration dans laquelle elle s'installe. Comment ces dispositifs, sous la forme apparente d'espaces de glissement, de suspension, de convivialité, en appellent symptomatiquement à des forces de réversibilités sous jacentes à la faillibilité urbaine et au risque du générique, nature de notre société, de notre civilisation et de notre art ?
Ces dispositifs de transit sans dimension ni échelle, au bord de la fiction, expérimentent la décélaration et l'apesanteur sculpturale des matières et des corps, celles des plages de béton, des tables d'observations, des tarmacs invitant à l'horizontalité des corps. Aéroport de la sensation. Ces environnements sont une apologie de l'oeuvre comme dispositif de résistance, comme lissité et densité. Le passage d'une conception de l'espace et du topos à celle du champs et du nomos est la fin de la maîtrise et du contrôle des perceptions centralisées, hiérarchisées et statiques, là où le passager de ses véhicules architektoniques à la géométrie biaise se joue des dynamiques imperceptibles des clinamens (modulation, ondulation, métastabilité). Sous leurs massivités d'apparence ses dispositifs nous invite à la suspension des corps, des sens et des pensées, à la lissité et à l'antitypie des matières, à l'impalpabilité des ciels, à l'invisible tectonique des sols, à la ductilité et au plissement
imperceptible des géométries, à l'expérience du temps étendu.

Nouvelle donne, nouvelle loi de la dissipation des objets et des corps qui selon Jean-Louis Déotte "exige alors de l'habitant des villes qu'il apprenne à effacer ses traces. La loi lui dit : tu dois apprendre à te perdre. Ce qui a deux sens : avec les meilleures cartes urbaines, tu dois devenir aveugle, te perdre grâce à ta connaissance historique de la ville, oublier ton savoir pour lever toute pré-connaissance, lire entre les lignes, […] permettre la paradoxale efficacité de la "troisième oreille" : celle de l'écoute flottante. […] Cette loi éthique s'enquiert de l'aisthésis. Paradoxalement donc, l'appareil (le passage) est davantage une technique de suspension et d'oubli d'enregistrement du visible. Son horizon, c'est un alliage de fiction et d'archive. Sa technique, c'est l'anamnèse qui suppose qu'on se soit rendu aveugle au savoir positif."3 Cette singularité quelconque comme le souligne Giorgio Agamben4 n'est pas celle de la non-connaissance ou de la dé-connaissance comme dépaysement. Elle est plutôt celui hors-connaissance, hors langage, hors territoire, avant la connaissance, avant le langage, avant le territoire. Agamben nous indique l'existence impensable et indispensable de zones de non-connaissance ; celles -ci sont ineffables, inavouables parce qu'elles touchent à notre fragilité la plus profonde. Le champ de la singularité générique, comme dissolution de l'instance personnelle du Moi qualifie la nature de l'art, de l'architecture et de l'urbain. Le risque est-il plus élevé aujourd'hui ? C'est cela que l'art, l'architecture, l'urbain, la poésie, la musique – pas seulement les arts de l'espace mais les arts en général – ont à voir avec cet écart, cet
espacement, cette suspension des repères spatiaux et temporels – matrice du sensible.

Christian Leclerc

1 G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 600.
2 G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 343.
3 J.-L. Déotte, L'époque des appareils, Ed. Lignes & Manifeste, p. 96.
4 G. Agamben, La communauté qui vient, Théorie de la singularité quelconque, Seuil, 1990.