Jean-Christophe Nourisson |
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Bio |
Des signes urbains non-autoritaires. A Nice, l’université Saint-Jean d’Angély renoue avec la construction et avec la ville. Elle s’installe dans l’ancien quartier de la caserne, en pleine renovation, et qui sera bientôt investi de commerces et de logements, d’une bibliothèque universitaire et d’une maison des sciences de l’homme. Suite à une commande, l’artiste Jean-Christophe Nourisson installe des sculptures sur le terrain dégagé par ces travaux. Christian Ruby, philosophe, l’a rencontré. A première vue, des bancs, des lits – comme des invitation à la pause, au sommeil et des pupitres en béton composite, teinté dans la masse. A examen plus scrupuleux, une suite de découvertes : d’abord, chaque ouvrage pour soi prend place dans le champ de l’ordinaire, la rue, la place, le jardin, le trottoir, et le rend plus habitable. Ensuite, chaque sculpture a pour propriété d’inverser la position du spectateur. Alors que celui-ci est censé regarder une œuvre en se plaçant en face à face avec elle, ici, le spectateur est convié à regarder ce qui se trouve autour de l’œuvre à partir d’elle. Elle devient ainsi le point d’ancrage d’un regard sur le monde, d’une attitude qui viserait à ralentir les flux de la ville, en la viant autrement. A l’impératif « circulez, il n’y a rien à voir », l’artiste oppose un dispositif de décompression, une résistance passive quoique sans mode d’emploi. Ensuite, l’examen des pièces montre que ces objets, très construits, présentent de minimes points de déstabilisation. Par exemple des inclinaisons très douces, des décalages par rapport au sol, des brisures dans la régularité, qui piègent l’identification des formes, tandis qu’ils orientent la vision du spectateur. Non seulement, l’artiste s’appuie manifestement sur des expériences formelles puisées dans l’histoire des avant-gardes du XX° siècle, mais aussi il introduit dans ses sculptures un principe d’indétermination qui oblige le spectateur à se poser la question de savoir de quoi il s’agit. Lorsqu’il est question par exemple des « pupitres », des pièces un peu plus grandes et hautes que « la normale », le spectateur observe rapidement qu’il peut se tenir derrière le pupitre, mais en même temps ne peut rien poser dessus. Il est devant un objet minimal, abstrait mais engagé dans un potentiel d’usage vite détourné en une multiplicité d’activités : faire la sieste sur les bancs, lire un livre, concentrer son regard à partir d’un « lit » … Plus largement, les différentes oeuvres façonnent l’espace urbain en installant des perspectives qui ne se posent pas en rivales de l’architecture qu’elles côtoient, qui ne s’imposent, qui ne versent pas dans l’éloquent. Grâce à elles, plutôt, le spectateur peut appréhender les nouveaux bâtiments sans heurt. Du côté de la sculpture, le passant peut effleurer l’œuvre ou s’en servir, du côté de l’urbain, il peut regarder l’architecture et la ville sans qu’il leur fasse obstacle. Placés dans des creux de bâtiments, sur des places, dans l’angle de rues, l’ensemble des ouvrages organise des parcours, des circulations qui accompagnent les cheminements ordinaires et font sans aucun doute partager les exercices du regard que l’artiste a pu pratiquer dans ces lieux. Revenons alors au titre de l’œuvre : D’une place à l’autre (8). D’une place à l’autre parce que l’on passe de la place habituelle du spectateur (face à l’œuvre) à une autre place (sur l’œuvre) ; d’une place de l’œuvre (habituelle) à une autre place (propre à l’artiste). Passage ici du centre des compositions à une dispersion dans l’espace elle aussi aléatoire, favorisant plus précisément des proximités et des conjonctions ; enfin, numéro 8, parce que l’artiste s’exerce à ce dispositif une nouvelle fois, le changeant toutefois en fonction du contexte. Les pièces sont bien jetées dans l’espace urbain comme des cailloux grâce auxquels les points de vue sur la ville sont multipliés. Christian Ruby
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