Jean-Christophe Nourisson

   

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Textes

2001 Les abstractions architecturales de JC Nourisson. Texte Sylvie Coëllier. (Translate)

2001 Correspondances. Texte de Christophe le Gac. (Translate)

2004 L'événement et la pensée. Texte de Christophe Kihm.

2010 Perception et corps en mouvement. Texte de Catherine Grout.

2010 Des signes urbains non autoritaires. Texte de Christian Ruby.

2010 Hors Champ. Texte de Cécile Meinardi.


2017 Nomologie. Propos sur les dispositifs urbains de JC Nourisson. Texte de Christian Leclerc.

2021 L'incomplétude des choses. Texte de Jean Louis Poitevin.


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L’incomplétude des choses


Note sur les pièces d’une exposition de Jean-Christophe Nourisson

Balise
Émis par une balise dont nous savons qu’elle se trouve à Nice et qu’elle a la forme d’une exposition de Jean Christophe Nourisson, des messages nous parviennent de manière discontinue. Ils évoquent, ici un objet hésitant entre meuble et sculpture, là une étrange machine immobile, ici des images techniques incluant des corps en proie à a rationalité agrémentées d’un rectangle de couleur, là un entrelacs de lampes de bureau qui sont peut-être les nôtres, ici un panneau d’orientation apparemment désorienté, là la pulsation inconditionnée d’une lumière vibratile enregistrée signalant, par sa vibration même que, s’il y a émission d’un signal, il n’est pas certain qu’il y ait un destinataire.
Impossible, pourtant, de faire comme s’il était possible d’ignorer que ces messages auraient pu ne pas nous parvenir tant les zones d’émission se retrouvent souvent brouillées par des émissions apparemment semblables, mais cherchant à ressembler à un modèle sans doute mort. Quant aux messages pour échapper à leur obsolescence programmée, on dirait qu’ils espèrent finalement être distribués de manière aléatoire.
Bribes ici, tentatives de signification là, il revient à qui reçoit ces messages de tenter de les recomposer et qui sait, de parvenir à former la base sinon d’un récit impersonnel, du moins d’un échange d’informations subtil.

Familier, lointain
Les messages qui nous parviennent nous parlent de choses qui nous semblent à la fois familières et lointaines. Familières car, il nous semble -mais comment en être certain ?- qu’elles participent pour une grande part à ce que nous vivons. Lointaines, car elles s’expriment dans une langue précise mais si distancée qu’elle nous échappe. Le style aussi incisif que léger, les matériaux aussi reconnaissables que non définissables, accroissent cet écart qui, confinant à l’écartèlement, nous laisse soucieux.
Tout, ici, parle la langue de la modernité, de la rationalisation, d’un ordre possiblement irréversible, d’une mécanique bien huilée, et rien ne semble parvenir à déterminer ce qui confère à de cette occupation globale de l’espace une dérive castratrice.
Est-ce bien nous cela ? L’avons nous voulu ? L’avons nous désiré ?
Et le couperet tombe qui faisant résonner la question : quoi cela ?
Faire comme si nous ne saurions répondre à cette question implique de prolonger le mensonge avec détermination. Oui, nous savons, mais ce que nous savons, et qui a lieu avec notre assentiment le plus profond n’est peut-être pas ce que nous désirions obtenir et encore oins ce que nous espérions découvrir.
Notre psychisme n’est pas à la hauteur de notre espérance et ce différentiel d’intensité nous contraint à une gymnastique qui n’est pas seulement intellectuelle puisqu’elle engage notre corps à des contorsions auxquelles, soumis à la faiblesse de l’esprit censé le guider, il se soumet.
Et ce qu’il ressent, ce corps, c’est que cela n’est sans doute pas fait pour lui. Mais ce qu’il ne peut dire autrement qu’en gémissant en proie aux longs ennuis, c’est q’il aimerait que cela soit autrement. Quoi ? La vie. Sa vie.
Le familier sous l’emprise d’un lointain devenu proche se révèle singulièrement inquiétant.
En choisissant de travailler à la lisière, mal définie par nécessité, entre objet et œuvre, entre ce que l’on nomme art et ce qui s’impose aujourd’hui sous le terme de design, Jean-Christophe Nourisson expose dans un même geste les élément à charge et les options non vues pouvant conduire, - mais qui y croit encore ?- pouvant conduire à une libération de l’esprit des carcans qu’il s’est inventé.

Du corps, ce qui s’inscrit
Souvent, quand le mort corps sort d’une bouche affamée, on a l’impression qu’il est question d’une entité qui oscille entre la proie désirable et l’os d’après festin.
C’est quelque chose de plus complexe le corps, un corps. C’est une machine, un peu, un système d’mission réception tout le temps, un ensemble de coordonnées déterminant des positions par intermittence, un chaos de grande intensité visant à se coordonner aux autres chaos de basse intensité qui se définissent comme ordre, une puissance de faire et une autre qui consiste à recevoir. C’est dans cette orbe là que se situent les productions de Jean-Christophe Nourisson qui toutes mettent en scène un corps, celui-là même qui va venir vers elles et se les approprier, autant que faire se peut.
Lampes, pulsation lumineuse, objets utilement sans finalité, dessins rappelant une histoire inscrite partout et pourtant jamais dite, indicateurs de déplacement n’indiquant rien d’autre que des choix multiples s’annulant de facto, machine sans moteur jouant avec des reflets et s’imposant comme un appareil de vision n’ayant d’autre fonction que d’occulter cela-même qu’elle révèle, les éléments qui occupent cette balise-exposition émettent dans une langue empruntée toute à la modernité et qui pourtant fait entendre, dans une autre langue, des choses qu’il est impossible de faire entendre dans la vulgate officielle.
Chaque objet est un signe écrit dans une langue mais émettant des signes dans une autre.
C’est ce que mettent en scène les dessins repris du livre de Neufert « Éléments de la construction architecturale » ouvrage réédité sans faille depuis sa publication première en 1927. Pour mémoire on soulignera que cette année 1927 est celle de l’exposition de Stuttgart et de la construction du Weissenhofsiedlung, pour ne citer qu’un exemple dans cette période animée par la frénésie ce qui allait aboutir à un système général de contrôle des mouvements, des intentions, de l’attention et des réalisations auxquelles les corps ont finalement été soumis.
Du corps, donc, ce qui s’inscrit est finalement ce qui est absolument occulté. Ici, du corps, ce qui se manifeste, est le défaut même qui malgré la répétition constante des exercices, ne cesse de faire signe entre les lignes, entre les langues, entre les aveux.

Distorsion et révélation
Il y a de l’image partout et, ici, dans la machine qui consiste à montrer que toute machine, tout appareil semblant produire des images, est avant tout un appareil de vision, l’image est donc ce qui s’efface à mesure qu’elle est vue. La machine, ici, joue à révéler non pas l’inconscient d’un donné mais l’occultation d’un choix. Les lampes se révèlent porteuses d’un chaos que leur forme rationalisée contredit. La pulsation lumineuse entériner la captation de l’attention par des phénomènes non  pas intersidéraux mais terriblement industriels. Les objets inutiles révèlent que chaque sculpture est un objet qui s’ignore et chaque objet une sculpture qui n’ose s’avouer qu’elle aurait du choisir l’inutilité. Quant aux dessins, ils exhibent des bandes colorées, souvenir assassinés d’un moment où le monochrome était roi et signalant par leur présence ironique, leur fonction effective qui consiste à cacher non ce qui est montré mais ce qui relève de l’intention devant rester tue.
L’univers que déploie la balise-exposition de Jean-Christophe Nourisson s’origine dans ce moment inexpugnable de la crise au sens où la définit Vilèm Flusser : «  Quand je regarde la Lune par une nuit dégagée, je ne vois pas un satellite de la N.A.S.A. même si je sais que ce que je vois est un satellite appartenant à la N.A.S.A. Je continue à voir un satellite naturel de la terre ; ma vision du monde n’intègre pas ma connaissance. Cette absence d’intégration de la connaissance à la vision est caractéristique de situations déterminées que nous appelons « crises ». Il est probable que les Grecs de l’Antiquité savaient que la Lune est une sphère, mais ils continuaient à voir en elle une déesse. Il est probable que les mélanésiens savent que la lune est un satellite de la N.A.S.A., mais ils continuent de voir en elle un symbole de la fertilité. Dans une situation de crise, la vision du monde ne parvient pas à intégrer la connaissance » ( Vilèm Flusser, essais sur la nature et la culture, Lune, p. 62, Ed. Circé 2005).
Et cette absence d’intégration signe non seulement l’impossibilité pour toute connaissance d’intégrer ce qu’il en est des autres fonctions qui passant par le corps révèlent son lien indéfectible à une forme esprit qui n’est pas celle qui le soumet à la raison, mais  laisse des traces à la fois ineffaçables et non vues, occultées, niées, plus qu’invisibles. C’est à l’articulation de cette distorsion intime de la conscience déchirée entre raison et émotion et de la quête des traces de cette occultation permanente mise en scène et en oeuvre par la mémoire même que s’est construite l’oeuvre de Jean-Christophe Nourisson.
C’est une fois ce point d’émission des signaux déterminé que les messages délivrés peuvent être  appréhendés pour ce qu’il sont : des révélations.
Chaque élément, chaque œuvre, à l’instar des sculptures, met en scène une existence quasi rationnelle, mais, d’elle, message à la fois manifeste et subliminal, émane un élément à la fois discret et puissant qui non seulement désigne la faille interne à la rationalité glorieuse mais rend possible un geste de création. Et c’est ce geste qui tout entier s’appuyant sur la faille même non tant en la désignant qu’en en faisant l’opérateur de l’oeuvre, rend possible un effet d’intégration de la connaissance dans la vision du monde.
Et c’est précisément là que se produit quelque chose qui enveloppe et propulse jusqu’à nous le signal-signe émis par la balise. Et ce qui arrive, ce qui a lieu à chaque fois que la réception du signal-signe est activée, n’est pas autre chose qu’une révélation.
Ce n’est pas outrepasser la puissance d’ironie de ces œuvres que de constater qu’issues d’une méditation à forte imprégnation rationnelle, elles parviennent à émettre des flux d’intensités qui, si quelque chose s’appelant art existe, témoignent effectivement de son activité et de son existence.


Jean-Louis Potevin